Nombreuses sont les personnes à associer au concept d’internet celui de démocratie. Pour cause, par bien des aspects, internet est l’espace le plus démocratique qui soit : chacun‧e peut y diffuser ses idées et ses connaissances, et les rendre accessibles à chacun‧e. En 2019, si seulement 57% de la population mondiale avait accès à internet, ce chiffre dépasse les 60% dans la plupart des pays du monde, et flirte avec les 100% en Europe et aux États-Unis. En France, l’accès à internet, ne serait-ce que mobile, est la norme, quelle que soit l’origine sociale, ou quels que soient les revenus, des individus. On peut donc relativiser légèrement ce « chacun‧e », mais, mis à part en Afrique, il semble juste d’affirmer qu’internet est parvenu à connecter largement les individus.
Pour atteindre le plus grand nombre de personnes possible, la nécessité d’utiliser des outils digitaux n’est donc plus remise en cause. Le secteur du luxe ne cherchant par définition pas à atteindre « le plus grand nombre de personnes possible », mais un petit groupe de privilégiés, on pourrait penser que ses représentant‧es fuiraient les canaux de communication digitale. Or, il n’en est rien. La plupart des grandes marques du luxe, malgré leur besoin de cultiver une image premium et select, ont adopté les outils digitaux au fil des ans.
On voit donc se dessiner ici un dilemme complexe : comment concilier l’utilisation de ces médias de masse que sont les outils digitaux (et en particulier les réseaux sociaux), avec le positionnement premium du luxe ? Force est de constater que certaines grandes marques ont réussi à surmonter ce dilemme. C’est notamment le cas de Burberry.
Pour comprendre comment, nous allons nous intéresser :
- Au positionnement digital de Burberry au-delà du marketing,
- A la stratégie globale de la marque sur les réseaux sociaux (avec un focus sur Instagram et Facebook),
- Et plus particulièrement à la manière dont Burberry allie luxe et réseaux sociaux.
Burberry, marque de luxe hyper-digitalisée
Burberry est une entreprise qui s’est pleinement saisie des enjeux du digital, autant en store qu’en ligne.
En magasin, la marque installe des tablettes pour développer leur expérience client, et équipe ses vêtements de puces RFID qui transmettent des informations complémentaires à ses clients (matière, fabrication…).
La marque est également présente sur le front du digital via son site internet, qui a beaucoup évolué au fil des ans et répond aux standards web les plus récents, ainsi que sur les réseaux sociaux (Twitter, Instagram, Facebook, Snapshat…). Avec plus de 3,5 millions de mentions en 2020, Burberry est même une des marques du secteur du luxe qui tient le haut du tableau en termes de présence sur les réseaux sociaux[1].
2001 2004 2014 2020
Et pour une expérience client complète, l’application Burberry fait le lien entre achat en ligne et achat en store : elle réalise des suggestions d’achats personnalisées en fonction de l’historique d’achats et de l’activité en ligne des clients. L’application est par ailleurs dotée d’un chatbot pour un accompagnement sur-mesure lors de l’achat en ligne.
Dernier exemple en date de l’appui de la marque sur le digital, le lancement en partenariat avec Tencent (maison mère de WeChat) d’un magasin « augmenté ». Situé en Chine, ce magasin a été pensé comme une expérience client à part entière plus que comme un simple point de vente. En utilisant WeChat en store, les clients auront la possibilité de faire des visites virtuelles, d’en savoir plus sur les produits, d’accéder aux services clients, de prendre des rendez-vous en magasin, ou encore de s’inscrire à des événements.
Burberry est donc aujourd’hui une marque hyper-digitalisée, autant dans sa relation client que dans ses outils marketing. Le tournant digital radical de la marque est souvent associé à l’arrivée de Christopher Bailey à sa tête en 2014, cependant la digitalisation de Burberry montait déjà en puissance depuis les années 2000. Ce que sont en revanche parvenus à faire Christopher Bailey et son équipe, c’est à la fois d’imposer Burberry comme un grand acteur du digital sur le secteur du luxe, et de ne pas y avoir perdu son âme (pour le moment).



Ce dernier point est un enjeu crucial, et le principal écueil auquel est confrontée une marque de luxe sur les réseaux sociaux. D’où l’intérêt de comprendre la stratégie réseaux sociaux de Burberry, et comment la marque parvient à utiliser les réseaux sociaux sans devenir « cheap ».
Quelle est la stratégie social médias de Burberry ?
Burberry c’est 18 millions d’abonnés sur Instagram, près de 17,5 millions sur Facebook, 8,2 millions sur Twitter, près de 600 000 sur Pinterest, ou encore 76 000 sur TikTok. Des audiences très variées, et inégales en volumes. Mais la particularité de la marque, c’est qu’elle semble segmenter ces réseaux sociaux par objectifs : chacun a un rôle, sert à diffuser un type de contenu.
- Instagram : réseau principal (produits + annonces + défilés + campagnes)
- Facebook : réseau des annonces (sorties produits)
- Pinterest : réseau des produits (catalogue)
- Snapchat : réseau des événements (défilés + campagnes)
Des messages différents, mais toujours la même identité, le même ton, la même recherche d’innovation, la même stratégie. Toujours le même dénigrement les points finaux, et ce ton en accord avec ses visuels, à la limite de la désinvolture. Burberry a su trouver sa cohérence sur les réseaux sociaux, sa façon de rester luxe malgré l’utilisation de réseaux de communication qui parlent aux masses. Mais en se plongeant dans l’analyse de ses principaux réseaux sociaux, Instagram et Facebook, on s’aperçoit que cette stratégie bien huilée pourrait bien avoir ses limites.
Instagram : quand le luxe descend dans l’arène
Prépondérance de l’image, forte visibilité, large gamme de fonctionnalités… Pour une marque comme Burberry, choisir comme réseau social principal Instagram relève de l’évidence. Et force est de constater que la stratégie de Burberry sur ce réseau a été gagnante : la marque a gagné plus d’un million d’abonnés en 2020 et plus de 10 millions en 4 ans. À titre de comparaison, l’audience de la marque sur Facebook n’a augmenté que de 100 000 abonnés en 2020, et de 350 000 abonnés entre 2016 et 2021.



Les clés du succès de Burberry sur Instagram :
- Une présence quasi quotidienne sur le réseau social,
- Une adaptation rapide aux innovations de la plateforme : moins de 2 mois après le lancement des Reels, Burberry s’emparait déjà de la fonctionnalité,
- La mise en scène de personnalités du monde de la mode et de la culture (la mannequin Kendall Jenner, la compositrice et interprète Billie Eilish, le chanteur de KPOP Baekhyun…)
À chaque Reel, ce sont entre 500 000 et 1 millions de comptes qui sont touchés par les vidéos de Burberry. Les IGTV de Burberry suscitent un intérêt important, mais moindre, atteignant plus rarement les quelques centaines de milliers de vues, voire le million. En cause, un format court des Reels qui s’impose comme le nouveau standard, à l’image de ce qui se fait sur TikTok. Les formats vidéos plus globalement sont malgré tout le pari gagnant de Burberry, et lui offrent une visibilité bien plus importante que les simples images.
Facebook, le réseau où on ne peut pas ne pas être ?
Facebook est le second plus important réseau pour Burberry en termes de nombre d’abonnés. Chaque publication provoque des milliers de likes et dizaines, voire des centaines, de partages par publications.
Pourtant, on peut se demander ce que la marque vient y faire. L’image y prend une place moins importante que sur Instagram, et le réseau social s’écarte peu à peu de la cible jeune que la marque semble chercher (si on en juge par les mannequins qui la représentent). Alors, tentons une explication en plusieurs points :
- Burberry a adopté Facebook assez tôt (dès 2004), tout comme elle a adopté tôt Snapshat par rapport à son marché,
- Lorsque Instagram a vu le jour, Burberry y a vu un réseau social plus en phase avec son identité : basé sur l’image, et tourné vers une cible plus jeune,
- Facebook détenant Instagram, il faut charger des produits dans une boutique Facebook pour utiliser Instagram Shopping,
- Burberry utilise donc plus Facebook par contrainte que par envie/besoin/stratégie.
En soutien de cette théorie, on remarque l’appel à l’action de la page Facebook de Burberry n’est pas « Acheter », mais « S’inscrire« , et renvoie vers le site internet de la marque. Call-to-Action assez énigmatique pour du prêt-à-porter, mais qui illustre bien que Burberry ne compte pas réellement vendre sur Facebook.



Malgré cette théorie, Facebook a su apporter à Burberry des fonctionnalités intéressantes au fil du temps. Ou plutôt, Burberry a su se saisir des innovations mises à sa disposition par Facebook. À titre d’exemples, on peut citer l’utilisation d’un chatbot durant la Fashion Week de 2016, ou encore la retransmission de défilés sur Facebook Live en 2017.
Comment Burberry a réussi à conserver son statut de marque de luxe ?
On observe 3 éléments mobilisés par Burberry sur ses réseaux sociaux, et qui peuvent être analysés comme des mécanismes de survie du luxe sur les réseaux sociaux :
Le luxe n’a besoin de personne
Le premier consiste à ne suivre qu’un nombre de personnes très limité, triées sur le volet. Ces êtres exceptionnels sont au nombre de 13. Le compte Burberry Beauty et le compte du créatif star de la marque Riccardo Tisci, pour ce qui est d’Instagram. Le compte de l’actuelle égérie de la marque, Gigi Hadid, et les comptes de services de la marque, et des différents pays dans laquelle elle est présente. Par ce procédé, la marque se distingue, elle affirme sa supériorité. Elle n’a pas besoin de suivre qui que ce soit, car elle ne s’intéresse pas à ce que font d’autres marques ou d’autres personnes. Et elle ne relaie aucun autre contenu que les siens.



Créer les tendances plutôt que de les suivre
Le second consiste à n’utiliser que ses propres hashtags. Burberry s’est dotée d’une liste de hashtags tels que #burberrygeneration, #Burberry, #thomasburberymonogram, #BurberryBeauty, #InBurberry, #TheOlympiaBag… Ces hashtags correspondent à l’univers de la marque, à ses collections, à ses produits, etc. Utiliser ses propres hashtags répond à un enjeu en termes d’image de marque : c’est l’affirmation d’un positionnement de leader sur un marché, qui ne subit pas les tendances, mais les crée.
Accessoirement, cette stratégie est un atout pour les équipes marketing, pour qui il est bien plus facile d’évaluer l’impact des campagnes social médias. Comme seuls la marque et ses adeptes utilisent les hashtags de la marque, elle dispose d’indicateurs clés de performance tous trouvés.
Ne jamais se justifier
Qui dit réseaux sociaux, dit généralement interactions avec une communauté. C’est ce qu’on appelle le web 2.0, et qui est si utile pour les marques qui peuvent mieux comprendre leur audience, voire engager leurs communautés. Mais pas Burberry. Que les commentaires sous ses publications soient positifs ou négatifs, la marque reste de marbre. Il s’agit là d’une autre façon de traduire le positionnement luxe sur les réseaux sociaux : la marque dit ce qu’elle fait, les produits qu’elle sort, mais ne discute pas. Chez Burberry, les réseaux sociaux sont un canal de communication à sens unique. Malgré ce travail, avec le développement de son audience, on observe une déperdition dans le taux d’engagement moyen de la marque sur Instagram. Alors que début 2020, ce taux était de 0,24%, il n’est plus que de 0,20% début 2021. La baisse est faible en pourcentage, mais pourrait bien trahir une perte de qualité au sein de l’audience de Burberry. Si le luxe devient à la portée de tous et toutes, financièrement comme symboliquement, il perd son caractère exclusif, et ne peut plus être qualifié de tel. C’est le risque des réseaux sociaux pour une marque de luxe, et c’est peut-être ce qu’il est en train de se produire pour Burberry.
[1] https://netbasequid.com/social-media-rankings/. Page consultée le 09/02/2021.
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